C’est l’histoire d’Alain, cadre dirigeant dans une grande entreprise, dont le comportement va devenir de plus en plus incontrôlable et incontrôlé dans le temps… Un cas intéressant à analyser du point de vue d’un spécialiste des neurosciences.

Lors de sa prise de poste, Alain est sûr de lui et déterminé, travailleur, transparent dans sa stratégie, mais peu empathique et décidant souvent seul, malgré une petite cour qui lui est dévouée. Sa détermination lui permet d’avoir des succès dans les grands chantiers RH de l’organisation malgré des prises de position surprenantes et décalées. Il est craint par ses pairs, n’ayant visiblement pas froid aux yeux face aux difficultés, aux obstacles historiques, et aux personnes qui résistent. Bien que visiblement brutale, sa méthode unique et personnelle est même devenue populaire auprès d’une fraction des collaborateurs qui apprécient des avancées.

Et un jour, patatras, Alain va trop loin dans son action et frappe de plein fouet les piliers de l’organisation. Pire, il est devenu incontrôlable, et rien ni personne ne semble pouvoir le faire infléchir dans sa détermination à faire table rase du passé et des valeurs du collectif. La vie dans l’organisation est devenue une guerre de tranchées où le casque lourd est de rigueur.

Alain est devenu comme un train fou qu’on n’arrête plus et qui massacre tout et toute chose sur son passage.

Qu’en disent Damasio et Dunning-Kruger ?

Dans l’organisation, c’est la stupeur et la sidération. Les dégâts collatéraux sont considérables, l’absentéisme explose, une fraction des collaborateurs fait de la résistance active, une autre faction quitte le navire, l’avenir est incertain pour tous, et chacun se demande comment tout cela a pu se produire ? Et surtout comment l’arrêter ?

Même si Alain est devenu incontrôlable, il n’est pas pour autant imprévisible, comme nous l’enseignent les neurosciences cognitives…

En premier lieu, notre comportement est basé sur nos expériences passées comme nous l’enseigne Damasio. Il est logique que, ayant eu des succès en appliquant une méthode brutale et déstabilisante, Alain ait la volonté de reproduire cette méthode. Si pour lui le passage en force est un levier qui fonctionne, pour quelle raison remettrait-il en cause cela ? D’autant qu’il est toujours possible d’associer les échecs passés des directeurs précédents à leur lâcheté managériale et à leur manque de détermination.

En second lieu, si l’habitude de décider seul demeure, cette habitude devient inévitablement un lourd handicap. Nous sommes les plus mal placés pour déterminer notre compétence selon Dunning-Kruger, et le biais de surconfiance génère une surestimation de ses propres actions. Le manque d’un feedback laisse notre cerveau dans l’illusion de la compétence extrême.

Question de gestion des biais cognitifs

Enfin, comme tout être humain, Alain est régi par une multitude de biais cognitifs. La pression du temps et du volume important d’informations va l’empêcher de prendre du recul, seul moyen de passer en vitesse lente comme nous le prédit Kahneman (prix Nobel d’économie 2002). Dans cette situation, le biais de confirmation va filtrer l’information pour confirmer et renforcer ses hypothèses initiales et le renforcer dans sa détermination. Pire, le biais de la perte irrécupérable peut le pousser à s’entêter malgré les dégâts considérables et irréversibles déjà causés dans sa structure.

Vu de l’extérieur, Alain est un train incontrôlable, mais qui suit des rails parfaitement prévisibles du point de vue des neurosciences cognitives.

Confronté à la réalité, le cerveau d’Alain peut rester dans le déni même après l’avoir débarqué. Pour cette raison, il est nécessaire dans cette épreuve de rester pragmatique, car ce n’est pas la raison qui arrêtera Alain, c’est le mur de la réalité.

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