En tant qu’expert en neurosciences cognitives, une question légitime est de savoir si notre cerveau possède toujours les capacités naturelles d’adaptation ?
Nécessaire ou inquiétant, le changement est devenu un mot qui couvre des réalités diverses. De très nombreux ouvrages donnent conseils et modes d’emploi aux managers pour accompagner le changement, ce qui devrait nous prémunir contre tout effet négatif d’un mouvement apparemment inexorable. Pour autant, les exemples de changement chaotiques, voire catastrophiques, ne manquent pas, que ce soit pour des organisations, des produits…
Nuage de mots des participants lors de la première partie de la formation « Le cerveau face au changement ». On y voit des objets d’optimisme (amélioration, sympa, positif, découverte) mais aussi des aspects moins positifs (incertitude, risque, peur, difficultés). C’est toute l’ambivalence du changement.
En tant qu’expert en neuroscience, une question légitime est de savoir si notre cerveau possède toujours les capacités naturelles d’adaptation à ce changement ?
Qu’est-ce que le changement ?
Par analogie avec la physique, tout objet ou système ne change (de trajectoire) que sous l’effet d’une source extérieure. Et ce changement peut être, soit une simple modification, soit une vraie rupture, soit encore le passage d’un état à un autre (cf. la définition du Larousse sur le changement).
Le billard, simple changement de trajectoire ou transformation des billes en particules ? Cela dépend de la force qu’on y met ! Dans ce jeu, vous êtes la bille !
Lorsque l’on demande aux managers en formation s’ils préfèrent mener ou subir le changement, 95% me répondent qu’ils préfèrent le mener. Cependant, le changement est très souvent imposé par une contrainte extérieure que nous nous retrouvons à subir, individuellement et collectivement. Par conséquent, le manager se retrouve assez souvent à en même temps mener et subir le changement, c’est-à-dire une position inconfortable.
Par ailleurs, on comprend que la nature du changement est différente, selon que l’on parle d’une simple modification ou d’un changement d’état. C’est sans doute là que réside la grande méprise sur le changement.
Le changement comme une simple évolution
Lorsque le changement est une simple modification lente et progressive, il existe des mécanismes naturels d’adaptation.
Prenons le cas cité par A. DUSSUTOUR pour un blob, organisme unicellulaire mais vivant sur Terre depuis probablement 500 millions d’année. Lorsque l’on intercale de la quinine ou de la caféine entre le blob et sa nourriture favorite, l’avoine, le blob perçoit tout d’abord l’effet répulsif de ses deux substances. Puis, par phénomène d’habituation, le blob met une semaine pour « surmonter » sa répulsion et finalement atteindre sa nourriture, ce qu’il fait en un jour lorsqu’il n’y a pas de produit répulsif.
Nous connaissons tous ce mécanisme d’habituation lorsque, rentrant dans une pièce avec une odeur nauséabonde, nous finissons par ne plus la percevoir au bout de quelques minutes.
Plus perfectionnée, notre biologie dispose de l’homéostasie, mécanisme qui nous permet de compenser en permanence nos petits déséquilibres. Par exemple, lorsque notre cœur bat en moyenne à 60 battements par minutes, la fréquence cardiaque oscille en réalité entre 55 et 65 battements, les deux systèmes nerveux autonomes sympathique et orthosympathique fonctionnant en alternance pour accélérer et ralentir la fréquence cardiaque.
Enfin, nous sommes capables, moyennant apprentissage, de câbler de nouveaux circuits afin de nous adapter à ces changements. Cette adaptation est telle que lorsque le mécanisme d’apprentissage permet de faire passer des tâches complexes (requérant l’attention et le cortex préfrontal) vers des tâches automatisées (requérant le cervelet et la mémoire procédurale).
En résumé, lorsque le changement est lent et suffisamment progressif, nous sommes relativement biologiquement bien équipés.
La notion de changement d’état
Mais que se passe-t-il lorsque le changement est très violent, lorsque l’on parle de changement d’état ?
Nous rentrons alors dans une période hors de l’équilibre, que nous qualifions parfois de crise. Dans les formations classiques, ce type de changement se superpose avec la courbe du deuil et de notre capacité à remonter la pente, c’est-à-dire le concept de résilience.
Sur les IRM du cerveau, il est parfaitement possible de voir un changement complet du fonctionnement cérébral. Et surtout, il est possible de voir que notre capacité à rebondir est loin d’être évidente et universelle. Selon Bernadette Lecerf-Thomas, ce processus fortement émotionnel n’est pas qu’un simple apprentissage, c’est une véritable « déconstruction-reconstruction » dont il s’agit. Et pour cela, le soutien collectif et émotionnel est plus que nécessaire. D’autant que dans ce type de changement, la survie n’est pas garantie !!!
Par exemple, on parle d’éco-anxiété sur une étude de 2021 de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans dans 10 pays :
84 % d’entre eux sont « au moins modérément inquiets en raison du changement climatique » ;
plus de 50% ressentent des émotions négatives telles que la tristesse, la colère, l’impuissance ou la culpabilité.
plus de 45 % ont déclaré que ces sentiments négatifs à l’égard du changement climatique affectent leur vie quotidienne.
Survivre à la crise, c’est toujours subir une transformation profonde, y compris cérébrale. Trop souvent, l’optimisme ou l’ignorance n’ont pas permis de mettre en place des techniques et outils adaptés pour améliorer en préalable notre capacité de résilience, capacité à nous reconstruire après ce type d’épreuve.
Apports de notre formation sur le changement en management
En conclusion, dans la formation d’Insphère en neurosciences cognitives appliquée en management, nous analysons ces différents changements, nous regardons les implications et surtout nous évaluons nos capacités naturelles à affronter ceux-ci. Enfin, nous prenons un peu de recul sur le changement comme paradigme managérial, concept à la mode et pourtant possiblement destructeur si l’on y prend pas garde.